Défaillances d’entreprise : le calme avant la tempête ?
Les nombreuses aides mises en place par l’Etat depuis le mois de mars permettent à de nombreuses entreprises fortement impactées par la crise sanitaire actuelle, de « survivre ». D’ailleurs, les tribunaux de commerce sont vides. A fin septembre 2020, le nombre de défaillances d’entreprises (RJ : redressement judiciaire et LJ : liquidation judiciaire), tout comme le nombre de procédures de sauvegarde, est en très net repli par rapport à 2019.
On compte 30% de moins de procédures judiciaires et 16% de moins de procédures de sauvegarde cette année (source https://www.affiches-parisiennes.com/defaillances-a-fin-septembre-2020-le-calme-avant-la-tempete-11103.html)
Rien de très rassurant pour autant : cela ne reflète absolument pas la réalité économique et de nombreuses entreprises sont maintenues sous respirateur artificiel via les aides (https://bpifrance-creation.fr/entrepreneur/actualites/quelles-aides-entreprises-impactees-covid-19) . Nombreux sont ceux qui craignent un effet rebond en 2021 avec des défaillances en cascade.
Alors comment limiter les risques en cette période difficile ? Les procédures préventives peuvent apporter des réponses, et il nous semblait important d’en faire un petit tour d’horizon pour vous aider à mieux comprendre pourquoi, quand et auxquelles recourir.
Les procédures préventives
Ces procédures sont prises par des entreprises en difficulté qui prennent l’initiative, sans y être obligées, de solliciter du tribunal de commerce une procédure dite préventive ou de négociation.
Quel en est l’intérêt ?
L’objectif de ces mesures est de prévenir une cessation de paiement qui conduirait au redressement ou à la liquidation judiciaire. De fait, ce sont des procédures qui ne peuvent être mises en place si l’entreprise est déjà en cessation de paiement : elles doivent impérativement être demandées avant, à titre préventif, au tribunal de commerce.
Elles présentent plusieurs avantages :
- Elles sont confidentielles et ne font l’objet d’aucune publication officielle
- Elles permettent de négocier certaines créances pour préserver la trésorerie
- Elles sont souples et moins contraignantes
Le principe est de solliciter du Président du tribunal de commerce qu’il désigne un mandataire adhoc ou un conciliateur, dont la mission est de négocier avec l’ensemble des créanciers :
- Les banques: sur les échéances de prêt, de LBO, la mise en place dailly, les reports, etc. Le dossier change alors de service auprès des banques et passe entre les mains d’interlocuteurs spécialisés, qui connaissent bien les procédures et les conciliateurs, ce qui rend les accords plus faciles.
- Le ou les bailleurs : réduction de loyers, échéancier, etc
- Les clients & fournisseurs : révision des contrats cadres
Les créanciers ont tout intérêt à faire aboutir les négociations en mesures préventives, dans la mesure où c’est une phase préalable à une potentielle procédure collective qui reviendrait à geler durablement les créances.
Il existe 2 mesures préventives :
- Le mandat ad-hoc: il ne s’applique que pour els entreprises qui ne sont pas dans une situation de cessation de paiement. Un mandataire ad hoc, indépendant et extérieur, est désigné par le juge pour étudier la situation et proposer des solutions. Contrairement au mandataire judiciaire, le mandataire ad-hoc ne gère pas l’entreprise à la place du dirigeant.
- La conciliation: à la différence du mandat ad-hoc, elle peut être demandée même en situation de cessation de paiement, si celle-ci date de moins de 45 jours, sachant que le juge demandera alors un audit financier de l’entreprise avant de prendre sa décision. Comme le mandataire, le conciliateur aura pour mission de négocier avec les créanciers, au cours d’une mission de 4 mois. La mission prend fin après 4 mois, que les négociations aient ou non débouché sur un accord. La conciliation présente l’avantage, une fois enclenchée, de protéger l’entreprise contre une assignation en redressement ou liquidation.
Attention : ces mesures préventives sont destinées à régler des problématiques ponctuelles et non globales ! Il est important de pouvoir identifier un contexte qui explique les difficultés ponctuelles (ex : non paiement d’un client en difficulté, perte d’un gros client, etc), et de montrer que la pérennité de l’entreprise n’est pas encore remise en cause. Ces mesures permettent juste de traverser la mauvaise passe.
Méthodologie et timing des procédures préventives
Dans ces procédures, l’expert comptable doit pouvoir sortir très vite (dans la semaine) un état comptable fiable et actualisé. Il est d’ailleurs possible de solliciter un expert comptable « pompier » pour éditer très vite ces états de trésorerie et composer ainsi le dossier de recours.
Quand ce dernier est finalisé, le dirigeant doit solliciter par mail ou téléphone le Président du tribunal de commerce pour un RDV urgent où il faudra lui présenter la situation et lui soumettre une stratégie. La requête est rédigée par un cabinet avocat, et on a ordonnance dans les 24 à 48h.
Si le dossier est complet, il est possible d’ouvrir une conciliation dans la semaine. Et globalement, il faut compter 2 semaines pour l’intégralité de la procédure de demande (constitution du dossier, rencontre du tribunal, du conciliateur avec lequel on va travailler, signature de la convention avec le conciliateur …)
Les procédures collectives : sauvegarde, redressement, liquidation
Contrairement aux procédures préventives destinées à soulager une difficulté ponctuelle et ciblée, les procédures collectives offrent un traitement global et coercitive à tous les créanciers de l’entreprise.
Il existe 3 types de procédures : la sauvegarde et le redressement qui ont pour vocation la poursuite d’activité de l’entreprise, et la liquidation qui entraîne une cessation d’activité, et une récupération des actifs pour régler les créanciers dans l’ordre légal (salariés, Urssaff, puis les autres).
La sauvegarde et le RJ (Redressement judiciaire)
Ces procédures collectives permettent de geler le passif qui comprend tous les créanciers, regroupés au sein d’une masse, avec pour objectif soit de mettre en place un plan de sauvegarde (remboursement du passif jusqu’à 10 ans de manière imposée par le tribunal), soit de céder le fonds de commerce (plan de cession).
Ce gel du passif permet de reconstituer la trésorerie de l’entreprise qui est temporairement dispensée de payer ses dettes antérieures. En effet, il est interdit de payer ses dettes antérieures pendant la période d’observation de 1 an. Seules les dettes salariés sont prises en charge par les AGS (Agences de Garantie des Salaires), qui avancent les salaires (remboursement après dans cadre du redressement).
Puis vient le temps du plan de redressement, avec un échelonnement de la dette pouvant aller jusqu’à 10 ans. Les créanciers n’ont aucun pouvoir d’action, si ce n’est déclarer leur créance au passif.
En revanche, les entreprises en sauvegarde ou redressement ont obligation de payer les créanciers postérieures au jugement : salaires, Ursaff, banques, fournisseurs …, sous peine de passer en liquidation judiciaire (LJ).
Là encore, ces procédures sont destinées à traiter les difficultés passées mais l’entreprise doit rapidement redevenir rentable.
Bien préparer sa sauvegarde ou son redressement.
Contrairement aux procédures préventives, les procédures collectives font l’objet d’une publication, ce qui peut jeter un froid sur l’ensemble des partenaires créanciers, et notamment des fournisseurs, indispensables pourtant au maintien et au redéveloppement de l’activité. Il est donc indispensable de bien la préparer, et vivement conseillé de se faire accompagner pour s’assurer de l’appui de ses partenaires tout en restant irréprochables …
En effet, s’il est juridiquement possible de payer ses créanciers jusqu’à la veille de l’ouverture de la procédure, les paiements de dernière minute seront nécessairement considérés comme suspects et il faut donc pouvoir les justifier de manière très sérieuse.
La différence entre une sauvegarde et un redressement ? Pour ouvrir une sauvegarde, il ne faut pas être en cessation de paiement, sinon, c’est automatiquement un redressement.
Le dirigeant a pour obligation de remettre une liste de tous les créanciers de l’entreprise, même les créances contestées. Les créanciers peuvent en être informés via la publication du jugement d’ouverture au Bulletin Officiel, et ont alors 2 mois pour déclarer leur créance, faute de quoi elle sera effacée, avec une possibilité recours jusqu’à 6 mois, mais plus après.
Il faut également surveiller les annonces légales pour pouvoir, le cas échéant, déclarer ses propres créances auprès de clients qui auraient eux-mêmes ouvert une procédure ! En effet, le mandataire judiciaire informe les créanciers de la liste, il n’est pas rare d’oublier les petites créances dans le cadre d’une procédure.
La liquidation judiciaire
Lorsque la sauvegarde ou le redressement sont refusés, ou que le plan de sauvegarde / redressement n’ont pas permis à l’entreprise de retrouver de la rentabilité, et qu’elle n’est plus en mesure d’honorer ses dettes, l’entreprise passe alors en Liquidation, qui met automatiquement fin à l’activité de l’entreprise.
La LJ peut être effectuée à la demande d’un créancier (sauf si une procédure de conciliation est en cours), un débiteur, ou du Procureur de la République (sauf si une procédure de conciliation est en cours).
Si elle est validée par le tribunal de commerce, en voici les conséquences :
- le gérant est dessaisi de ses fonctions et l’activité de l’entreprise est stoppée : le chef d’entreprise ou le responsable de la structure doit cesser immédiatement d’exercer ses fonctions et l’activité est elle aussi stoppée, sauf autorisation contraire du tribunal (pour une durée de 3 mois renouvelable)
- blocage des poursuites : toute action en justice visant le débiteur devient impossible ou est suspendue
- arrêt du cours des intérêts : les intérêts (conventionnels, légaux, etc) et majorations (à l’exception des intérêts des prêts de plus d’un an) sont bloqués
- rupture des contrats de travail des salariés : si la structure employait des salariés, les contrats de travail sont rompus dans un délai maximal de 15 jours suivant le jugement, ou 21 jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est établi. Les créances nées de la rupture du contrat de travail (salaires, primes, indemnités, cotisations et contributions sociales…) sont couvertes par l’assurance de garantie des salaires (AGS)
- exigibilité des créances : toutes les créances que les créanciers détiennent contre l’entreprise, deviennent immédiatement exigibles. Dans un délai de 2 mois à partir de la publication du jugement, les créanciers qui disposent d’une créance qui existait avant le jugement doivent adresser une déclaration de créances au liquidateur (voir point suivant).
- Un mandataire judiciaire est nommé pour être liquidateur : le liquidateur est amené à gérer l’entreprise (notamment dans le cas ou le maintien provisoire de l’activité a été autorisée par le tribunal) ; à vérifier les créances ; à effectuer la vente des biens (marchandises, matériels, immeubles, droit au bail, etc.) ; à procéder aux éventuels licenciements des salariés.
Attention : la procédure va enclencher la caution personnelle du dirigeant : lorsque la procédure est ouverte, la banque peut réclamer dans les 2 mois de 5 à 50% des dettes (voire plus) au titre de caution personnelle avec assignation au paiement.
Lorsqu’une contre garantie (BPI ou autre), s’applique, le montant exigible dépend des conditions de cette contre-garantie, et surtout, protège la résidence principale du dirigeant (ce qui n’est pas le cas sans contre-garantie …).
Il existe également des fonds de garantie spécifiques, notamment pour les femmes (via France Active) et l’association 60000 rebonds accompagne beaucoup d’entrepreneurs dans les procédures post LJ.