La Propriété Intellectuelle ou PI est (ou devrait être) une fonction vitale pour les entreprises innovantes. Mais elle souffre trop souvent d’idées reçues : beaucoup d’entreprises y pensent trop tard ou de manière trop étroite. Comment relier la PI avec le reste du processus d’innovation et de croissance de votre société ? Comment l’utiliser pour créer de la valeur et identifier des opportunités de développement ? Quels réflexes de protection adopter et quelles questions doit-on se poser en amont ? Connaître les mécanismes multidisciplinaires de la PI permet à l’entreprise de sécuriser l’ensemble de ses process. Décryptage de ces enjeux stratégique avec Yannick Brussetti, juriste et chargé d’affaires à l’INPI.
Qu’est-ce que la Propriété Intellectuelle (PI) ?
La PI ne signifie pas uniquement exclusivité et actions judiciaires en contrefaçon. Elle peut être également synonyme de coopérations, business développement et licences. Elle n’est pas uniquement l’apanage des grands groupes dotés de puissants services R&D, ou de quelques start-ups à la pointe de la technologie. Elle concerne toute entreprise innovante et a un impact sur tous les processus pour générer, protéger (brevets, secrets, marques…) et exploiter l’innovation.
La propriété intellectuelle est une boîte à outils avec, d’un côté :
- La propriété industrielle, qui a plus spécifiquement pour objet la protection et la valorisation des inventions, des innovations et des créations par des :
- Enregistrements de marques
- Dépôt de Brevets
- Dessins et modèles
- La propriété littéraire et artistique avec, entre autres, les Droits d’auteurs:
- Œuvres littéraires, musicales, graphiques, plastique…
- Logiciels
Aujourd’hui notre économie est basée sur la connaissance et donc, l’immatériel. La mondialisation renforce la concurrence entre les entreprises et accélère le rythme des innovations. L’innovation est également de plus en plus collaborative, passant par des coopérations entre des acteurs variés (entreprises, recherche…), ce qui pose des problèmes en termes de Propriété intellectuelle : comment se répartir ces nouvelles connaissances que nous produisons ensemble ? Le portefeuille Propriété Intellectuelle d’une entreprise joue un rôle important pour sa compétitivité actuelle et future. Les règles du jeu sont fixées par les lois, réunies dans le Code de la PI et le droit de la concurrence.
La PI, un outil stratégique qui doit servir le dessein de l’entreprise
Une entreprise n’a pas vocation à faire de la PI, mais de créer de la valeur, de la richesse, de l’emploi. La PI va donc venir en support de la stratégie globale de l’entreprise, comme les autres fonctions supports (marketing, commercial, etc.). Elle doit permettre d’identifier un avantage concurrentiel durable.
Les missions de l’INPI
L’INPI propose divers accompagnements pour monter en compétences sur la culture PI : de la visite gratuite en entreprise aux Master class PI (formaction composée de moments collectifs et de coachings individuels sur mesure), en passant par des mini audits ou pré-diagnostics (baptisés Booster PI) ou par un soutien financier (prise en charge de 50% des frais d’avocat pour la rédaction d’un contrat par exemple, sur présentation d’un devis), la gamme d’accompagnements proposée par l’INPI est très large.
80% de l’info technique se trouve dans les brevets : on peut accéder gratuitement à cette info grâce aux bases de données. L’INPI a un peu un rôle de notaire de la PI. En plus de sa mission de lutte contre la contrefaçon, l’état a assigné à l’organisme une mission d’accompagnement des entreprises par la croissance économique. L’INPI doit donc faire en sorte que la culture PI de nos entreprises soit au même niveau que celle des concurrents, notamment des allemands, qui sont de plus en plus utilisateurs de la PI.
La PI, un outil de négociation pour les startups
Témoignage de Rémi Thibault, co-fondateur de Mhikes
La start-up Easy Mountain développe l’application de randonnée connectée, Mhikes, dont le principe est de géolocaliser ses souvenirs et de les partager. Elle possède des développements logiciels spécifiques qu’elle doit protéger, mais aussi des contenus uniques créés par des guides conférenciers. Comment identifier les talents de son entreprise et valoriser ses différences et son savoir-faire ? Faut-il systématiquement déposer un brevet ou y a -t-il d’autres outils de protection mobilisables ? Comment protéger un logiciel, exposé aux droits d’auteurs, et éviter de tomber dans le plagiat ? Rémi Thibault, son cofondateur, nous renseigne sur sa stratégie en termes de protection industrielle et nous explique en quoi le programme Booster PI, proposé par l’INPI a nourri sa réflexion.
« Quand on est une start-up, on n’a pas le temps de se concentrer sur la PI. Et pourtant, c’est important de protéger sa différence concurrentielle. Grâce à l’INPI, j’ai suivi un programme Booster PI et j’ai pu bénéficier d’un inventaire complet des talents de notre start-up. Même si c’est difficile de se protéger quand on est une start-up, cela reste intéressant de faire des démarches pour formaliser son savoir-faire, sans aller forcément jusqu’au brevet. Car le jour où on veut réaliser une levée de fonds, on peut valoriser son savoir-faire auprès des investisseurs parce qu’on possède l’antériorité.
Grâce au programme Booster PI, nous avons pu identifier des mécanismes adaptés aux startups. Lorsqu’on édite un logiciel, si on est copié, il faut une armée d’avocats pour prouver que le concurrent utilise la même solution. Même le brevet ne peut pas nous protéger. Pour matérialiser ces connaissances nouvelles, nous avons donc déposé une enveloppe solo qui acte la date pour protéger l’antériorité de notre savoir-faire de guidage via nos algorithmes.
Nous sommes aussi exposés au droit d’auteurs et, la frontière entre droits d’auteurs et données exploitées par l’application Mhikes est complexe. Pour éviter d’être attaqués quand l’usage des données aura plus de valeur, nous avons anticipé en créant une charte dédiée aux créateurs de contenus et les avons formés. Et la veille sur la concurrence effectuée avec l’aide de l’INPI nous a permis d’identifier d’autres entreprises qui font du recueil de données. En analysant les brevets avec l’INPI, nous avons découvert que nous avions intérêt à nous associer car nos savoir-faire se complétaient, et nous sommes aujourd’hui partenaires de ce concurrent !
Je ne regrette pas du tout d’avoir fait appel en amont à l’INPI ! Même si c’est un investissement en temps car il y a de nombreux échanges, je suis prêt aujourd’hui à avoir des actions payantes auprès de l’INPI car je me rends compte de la valeur de ces différents accompagnements.
Quelles sont les créations concernées ? Les créations immatérielles
- Savoir-faire : il s’agit de connaissances facilement transmissibles, qu’il faut essayer de tracer, dater (ex. : déposer une enveloppe, rédiger des cahiers de laboratoires etc.).
- Inventions (solutions techniques nouvelles)
- Signes distinctifs (dénomination sociale, nom commercial, marque, slogan…)
- Logiciels
- Créations esthétiques (interface logiciel, design produit…)
- Bases de données
- Site Internet
- Brochures, catalogues…
- Algorithmes/formules mathématiques
- Découverte scientifique
- Etude technique, scientifique, statistique, commerciale…
- Plan, carte, dessin, schéma,
- Méthode commerciale, de formation, d’enseignement…
- Variété végétale
Quels outils pour protéger les créations immatérielles ?
Les bonnes pratiques : le secret est parfois la meilleure protection possible. Sauf si bien sûr ce secret vient à s’ébruiter, il n’y a alors plus d’outil juridique pour se protéger. Même si vous privilégiez le secret, il doit être organisé matériellement et juridiquement !
Les lois : le droit civil, commercial, de la concurrence, de la propriété intellectuelle sont des outils juridiques qui servent à conserver les avantages de notre produit concurrentiel.
Les contrats : comment va-t-on exploiter les droits, notamment en cas de partenariat ? Le contrat est un document qui fait la loi des partis.
Le brevet, un outil pour protéger une invention
Une invention peut se définir comme la résolution technique à un problème technique. L’outil brevet est là pour protéger cette invention. Le principal inconvénient : la publication.
Que faut-il savoir pour déposer un brevet ? 18 mois après le dépôt du brevet, le contenu sera rendu public ! Il n’est donc pas toujours opportun de déposer un brevet, mieux vaut parfois un secret bien gardé. Avant de prendre cette décision, il est nécessaire de mener une réflexion globale sur l’opportunité stratégique de recourir à cet outil.
L’acte matériel de dépôt (formulaire à remplir) demande peu de compétences particulières, cependant, tout le travail en amont et en aval du dépôt requiert des compétences techniques et juridiques extrêmement pointues en matière de Propriété Intellectuelle afin de satisfaire aux exigences des différents offices tant sur la forme que sur le fond. La qualité de la protection est en effet très liée à la qualité de la rédaction du brevet.
Durée de protection : 20 ans non renouvelable
Conditions :
- Création non exclue
- Nouveauté absolue
- Activité inventive
- Application industrielle
Quel budget faut-il prévoir en moyenne pour déposer un brevet ?
Deux facteurs principaux entrent en jeu pour évaluer ce budget : la portée géographique du brevet et le temps de maintien. Pour optimiser ce budget, des choix stratégiques sont à opérer : des articulations sont possibles par exemple entre procédure nationale et internationale.
En déposant en France, on peut gagner du temps pour réfléchir à sa stratégie : pendant 1 an, on est prioritaire pour étendre ce dépôt à l’étranger. Ce qui permet d’enchaîner ensuite sur une procédure européenne ou internationale.
Les marques pour capter un avantage concurrentiel lié à la notoriété
La marque protège un signe d’identification des produits ou services d’une entreprise
Durée : 10 ans, renouvelable indéfiniment
Principes de territorialité / spécialité
+ Vêtements, articles de sport…
+ Logiciels de téléchargement de fichiers audio…
Focus sur le dessin et modèle
Objet de la protection : Apparence esthétique d’une création
_ Durée de protection : 5 ans, renouvelable 4 fois
_ Conditions : Nouveauté
Caractère propre
- Forme non imposée par la fonction (pour être brevetable, doit suffisamment s’éloigner de l’état de la technique)
Le droit d’auteur, auquel sont soumis les logiciels notamment
_ Objet de la protection : œuvres de l’esprit quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination
_ Durée de protection : vie de l’auteur et 70 ans après son décès
_ Conditions : originalité
_Acquisition de la protection : du seul fait de la création (attention à la preuve)
La propriété intellectuelle, l’essentiel à retenir
Protéger sa marque ou son brevet, c’est bien… surveiller, c’est mieux !
- Recensez les innovations protégeables
- Identifiez le régime juridique applicable
- Utilisez les outils adaptés à votre stratégie et combinez-les pour capter vos avantages concurrentiels de manière plus efficace
- Faites-vous accompagner par le(s) bon(s) Interlocuteurs (juristes de l’INPI, avocats, conseils spécialisés en PI…)
- Surveillez les atteintes à vos titres pour détecter les contrefaçons. L’INPI n’est pas un organe de contrôle.
- Agissez pour défendre vos droits (Accord amiable ou recours aux tribunaux, seuls compétentes pour trancher les litiges sur les droits de propriété industrielle (action en contrefaçon).
- Maintenez vos titres en vigueur (Taxes, Exploitation)
Pour en savoir plus :
www.inpi.fr
INPI – Site de Grenoble – 5 place Robert Schuman – 38025 GRENOBLE
Yannick Brussetti – Tel. : 04 76 84 45 76
[email protected]