« Celui qui prend un risque perd pied pour un instant, celui qui ne prend pas de risque perd sa vie. »
Soeren Kierkegaard
Notre vie professionnelle est de moins en moins tracée. Chaque individu est amené à prendre des risques auxquels il n’était pas préparé. Mais comment développer ces capacités qui ne s’apprennent pas à l’école ? Oser, risquer… grandir : et si le risque était en fait un chemin, une aventure qui exige de la lucidité, du discernement… Et si, finalement, il était plus facile de se risquer à affronter notre peur du risque, que de risquer de perdre sa vie ? Sébastien Ratel, l’un des plus talentueux alpinistes de sa génération, membre du Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) depuis 2008, est venu le 10 octobre dernier sur inovallée partager son expérience de la haute montagne et son esprit de cordée lors d’une conférence-débat à laquelle ont assisté une soixantaine de participants, bluffés par son savoir-faire et son savoir-être. Retour sur ce temps fort.
Pour le Caporal Chef Sébastien Ratel, le monde de l’entreprise et ses mutations actuelles possèdent de nombreuses similitudes avec la gestion de projet en expédition. « La prise de décisions en situation difficile, la définition des rôles de chacun et la gestion du risque sont les points centraux de l’activité du GMHM », explique-t-il. L’objectif de Sébastien est, à travers le récit de ces périples exceptionnels composés d’exploits, de renoncements, de dangers et de prises de décisions, d’esprit de cordée et de succès partagés, d’inviter les participants à partager une nouvelle vision du risque et à identifier de nouvelles opportunités.
En rappelant les difficultés dont se nourrissent les réussites et la richesse que peuvent contenir les échecs, son discours remet à leur juste proportion les petits soucis professionnels du quotidien et ouvre la voie vers de nouvelles perspectives, démocratisant ainsi le risque et ouvrant ainsi un nouveau champ des possibles.
Le GMHM, un laboratoire de l’extrême avec un entraînement physique et mental poussé
Le Groupe Militaire de Haute Montagne a trois grandes missions :
- Rayonnement de la patrouille de France de la montagne
- Expérimentation (travail en autonomie, engagement et prise de risque)
- Conseil (formation au froid, gestion du risque, etc.)
Le GMHM existe depuis 1976 et compte une petite équipe de 10 personnes par an. Ils réalisent une expédition phare par a pour la partie expérimentation. Ces expéditions sont majoritairement tournées vers la haute altitude et, plus particulièrement l’Himalaya, où la nature est hostile, les températures sont très basses et le manque d’oxygène rend tout plus compliqué. Les expérimentations menées permettent notamment d’étudier les effets de l’altitude sur la mémoire.
Là où certains partent en expédition suréquipés, le groupe de Sébastien Ratel considère que la technologie peut « tuer » la montagne. Leur force à eux, c’est de partir en autonomie totale et de ne laisser aucune trace dans la montagne (0 déchet). Ils grimpent sans bouteilles d’oxygène donc ils pratiquent des phases d’acclimatation pour que le corps s’adapte. Là-haut, les secours ne sont pas possibles.
Le projet : l’Himalaya et la haute altitude
Le GMHM a une histoire très forte avec le Shishapangma, une montagne culminant à 8 043 mètres d’altitude, quatorzième sommet le plus haut du monde. Suite à la rupture d’une corniche, le groupe perd 2 hommes. C’est le choc pour le groupe qui a failli fermer suite à cette expédition : « Lorsqu’on prend des risques et que tout nous réussit, on est soutenu. Mais en cas d’échec, il n’y a plus personne… », explique Sébastien. « C’est tout le paradoxe de la prise de risque ! ».
REBONDIR pour ne pas subir l’échec
La reconstruction se fait pas à pas et une nouvelle expédition se prépare en 2013 avec de nouvelles personnes et donc, de nouvelles envies. Car face au risque, le plus important est la motivation personnelle : « on ne grimpe que si on est motivé, il faut donc bien savoir pourquoi on fait les choses », insiste Sébastien. « Et quand la motivation n’est plus là, il faut savoir bifurquer ».
Malheureusement le groupe échoue à 7000 m en raison d’une météo incertaine et doit rentrer à Chamonix. Six mois après le premier essai, une petite équipe, plus motivée que jamais, est de retour sur le sommet. Après une acclimatation par paliers, l’équipe établit son camp de base à 7200 m en attendant le bon créneau météo. La routine s’installe et il faut apprendre à gérer l’attente. Dans ces moments difficiles, une seule solution, se raccrocher aux choses concrètes, une seule règle : S’ADAPTER ! Comme le créneau météo parfait n’existe pas, le routeur donne son feu vert pour que l’équipe termine l’ascension, après avoir analysé les risques et les difficultés. Dans ces conditions de l’extrême, la priorisation des risques devient alors toute autre :
- Ne pas tomber
- Ne pas geler
- Essayer d’aller au sommet
À ce moment, la corde est plus un lien mental qui les relie les uns aux autres qu’une véritable sécurité ! Au prix d’efforts intenses, l’équipe atteint enfin son sommet. Certains pleurent, d’autres appellent leurs proches, d’autres encore, à l’image de Sébastien, pensent déjà à la descente et restent concentrés sur l’objectif.
La grille de risques, une étape clé dans les phases de préparation
Après le premier échec, pour bien préparer la deuxième tentative, le groupe a isolé 3 facteurs clés pour constituer sa grille de risque :
- La météo : des choses qu’on peut prévoir et d’autres non
- Le terrain et ses fortes contraintes
- Améliorer sa préparation physique en créant un entraînement spécifique (progression 10 fois moins rapide que dans les Alpes)
- Revoir l’alimentation (des choses pas digérées en altitude)
- Optimiser sa phase d’acclimatation pour gagner du temps
- Le facteur humain (l’équipe)
- La motivation = dénominateur commun
- L’engagement : travailler sur les différences de niveau d’engagement
- Le rôle de chacun : chacun doit avoir une place définie et être valorisé dans son rôle (ex. le médecin). C’est indispensable pour entretenir la motivation et la cohésion d’équipe.
- Le leadership tournant : le leader tourne selon la forme, la fatigue, le mental… L’équipe se connaît dans les difficultés.
Pour faciliter la prise de décision, l’analyse des facteurs de non réussite est primordiale
Pour améliorer la prise de décision une fois sur place, des facteurs sont à travailler et verbaliser en amont :
- ANTICIPER LE PIRE : verbaliser les pires situations en imaginant différents scenarii pour anticiper la prise de décision
- NE PAS SE MENTIR sur les causes d’échec
- ACCEPTER qu’on ne maîtrise pas tout
- CREER LA CONFIANCE avec l’équipe (la confiance avec le routeur notamment est au cœur de leurs expéditions. Elle se construit dans la durée au fil des expéditions communes)
- SAVOIR ATTENDRE mais pas trop : le créneau parfait n’existe pas !
- S’ENGAGER même si tous les signaux ne sont pas au vert
- SE FIXER DES DEADLINES pour redescendre
7 facteurs clés pour atteindre des sommets : le risque by Sébastien Ratel
Riche de ses « montagnes » d’expérience, Sébastien Ratel a proposé un vaste espace de réflexion collective au cours de cet atelier, prenant appui sur des images et des exploits somptueux. Voici les principaux messages à retenir :
- Sortir de sa zone de confort est indispensable pour créer et innover
- Le but ne prime pas sur le chemin à parcourir !
- Le pire, c’est de ne jamais prendre de risque : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. » SENEQUE
- Le risque choisi est plus confortable que le risque subi
- Sans risque, il n’y a pas de vie
- Le risque est un chemin de vie : il faut y aller étapes par étapes pour mieux maîtriser le risque
- Le travail sur le renoncement libère beaucoup d’énergie et de contraintes : « Si tu peux faire le chemin en sens inverse, c’est que tu peux encore faire un pas en avant » !
La vision du risque, by Guénaël PRINCE, co-fondateur de Waga Energy
Ancien d’Air Liquid, Guénaël a cocréé avec 4 associés la startup Waga Energy, qui développe et installe de « mini usines à gaz ».
- Le risque peut être une SOURCE D’EPANOUISSEMENT : apprendre à se connaître sans complaisance
- TRAVAILLER SUR LES PEURS et les verbaliser est une question centrale avant de s’associer (peurs réelles ou projetées, peurs rationnelles ou irrationnels)
- NE PAS FUIR LE RISQUE MAIS L’AFFRONTER : trouver des solutions techniques pour réduire le risque
- ETRE VRAI : envers soi-même, ne pas se mentir, et ne pas mentir à ses associés
- SE REGARDER OBJECTIVEMENT, sans complaisance
- AVOIR DU SOUTIEN :
- de sa famille
- s’entourer d’experts
S’associer ou créer seul ?
- SE POSER 100 QUESTIONS AVANT de s’associer :
- Rapport à l’argent
- Motivations pour créer ?
- Comment création est vue par son entourage ?
- TRAVAILLER LA CONFIANCE : comme la cordée qui grimpe, les liens se tissent et se renforcent au fil du temps si on travaille sur les non-dits
- UN LEADER NATUREL accepté par l’équipe
Le retour d’expérience de Nadia JAQUEMET KODIA, créatrice de Noenza Maternity
Lorsqu’elle a créé sa première entreprise, Mon Petit Bout d’Ailleurs, fabricant de produits pour bébés, Nadia confie avoir choisi un marché par affection. L’échec de cette première entreprise ne l’a pourtant pas arrêté, puisqu’elle a choisi de créer une deuxième entreprise, Noenza Maternity début 2017 et d’embaucher directement son premier salarié. Elle a donc pris un risque important sur le plan financier et familial. Mais elle n’a pas de regret, les indicateurs étant favorables.
Pour créer, elle s’est appuyée sur :
- Son instinct
- Son expérience / ses compétences
- Une étude de marché approfondie
« Quand on est pris dans son rêve, on n’ose pas imaginer l’échec. Mieux vaut AVOIR UN PLAN B pour ne pas subir l’échec et être à plat. Il faut proposer ce que les gens attendent et pas ce qu’on a envie de vendre ! »
Le retour d’expérience de Mariama, créatrice des micro-crèches Cocoon
Créatrice des micro-crèches Coccon sur inovallée, Mariama a développé un concept innovant basé sur une pédagogie interculturelle.
- Difficultés rencontrées :
- manque de confiance en soi
- manque de soutien : « on est peu aidé, on se sent abandonné »
- l’importance de l’emprunt bancaire
- Malgré tout, pour elle LE RISQUE EST SYNONYME DE FIERTÉ