Aujourd’hui, un simple test ADN, à même de détecter des risques liés à l’hérédité, coûte 100 ou 200 dollars (prix de la société 23andMe), contre 1000 dollars il y a 10 ans… Et 10 dollars bientôt ? Cette facilité d’accès à une dimension de soi, ou plutôt à une traduction de soi chiffrée et mesurable, rebat les cartes de la médecine. À l’heure du numérique et du big data, les données de santé prennent une dimension nouvelle, soulevant de nombreuses questions, particulièrement en termes d’éthique. Grâce aux analyses des données collectées, la médecine préventive deviendra peut-être une médecine prédictive. Mais que faire de ces prédictions s’il n’est pas possible de soigner le patient ?
Est-ce un « Hiroshima psychologique » comme l’avait qualifié le philosophe Dominique Foldscheid ? Ou l’occasion pour chacun d’entre nous de bénéficier de stratégies de prévention hyper ciblées ? Les analyses génétiques permettraient-elles, à terme, de gérer notre santé au quotidien en « toute connaissance de cause » ? Ou au contraire, la médecine prédictive va-t-elle « fabriquer » plus de malades avant même de l’être réellement ?
Pour mieux comprendre l’impact du numérique sur notre santé, et plus particulièrement les enjeux liés à la médecine prédictive, inovallée organisait le 2 octobre dernier un atelier participatif, en partenariat avec Orange, dans le cadre du Digital Society Forum, et avec Medicalps. Par petits groupes, les participants ont contribué à une réflexion commune et rédigé une liste de 5 changements induits par le numérique sur la santé, associés à des propositions pour bien vivre ces changements.
Les débats ont été introduits par Valérie Peugeot, sociologue au laboratoire SENSE chez Orange, et accompagnés par Vincent Tempelaere, Président d’Eveon & Alpao, Président de Medicalps et membre du CA d’inovallée, et par Julien Thévenon, praticien hospitalo-universitaire de génétique au CHU de Grenoble.
Changements et propositions formulés à l’atelier « Le Graal de la prédiction »
Changement nº1 : Le numérique impacte notre droit (volonté) de savoir ou non
Propositions
[Aux gestionnaires de données tels que les entreprises ou les Etats]
- Proposer des formations pour sensibiliser les patients à la protection, l’utilisation des données personnelles et leurs droits
- Informer en temps réel le patient de l’utilisation de ses données personnelles
- Laisser le citoyen donner à chaque fois son accord pour partager ses données
[Au corps médical, aux médecins et aux législateurs]
- Informer et accompagner le patient
- Laisser le droit de ne pas être diagnostiqué
- Laisser la possibilité au patient de donner son avis sur «sa volonté de savoir ou non». Quid de la gestion des données des enfants, des mineurs ou encore des personnes handicapées ?
[À l’État]
- Animer et réaliser des campagnes d’information pour éviter l’isolement
Changement nº2 : Le diagnostic préventif appuyé par le numérique apporte des réponses brutes
Propositions
[Au patient]
- Apprendre à tirer le meilleur parti de ses donnéeset de leurs exploitations (partager, informer, aider..)
[À l’Etat]
- Créer un nouveau métier (une sorte de « Coach Prévention ») ayant pour but l’accompagnement des patients dans la gestion et l’utilisation de ses données afin de l’aider dans la recherche d’actions préventives et/ou correctives et le conseiller sur le traitement de ses données médicales
Changement nº3 : Le numérique rend tout le monde malade
Propositions
[À l’Etat / Législateur]
- Légiférer pour que le patient soit seul décideur de l’accès à son génome
- Légiférer pour interdire la définition d’une normalité génétique
[Aux individus]
- Garder un esprit critique face au flux d’informations médicales et de bien-être qui incitent à l’hypocondrie
- S’interroger sur la finalité et le pourquoi ?
Changement nº4 : Le numérique transforme et bouleverse la vie intime
Propositions
[À l’Etat, aux pouvoirs publics et au Ministère de la Santé]
- Définir un cadre pour donner la possibilité aux individus d’offrir leur corps numérisé à la science, comme cela se fait pour les dons d’organes
[Aux acteurs techniques de la chaîne médicale]
- Proposer un système simplifié permettant l’activation d’un « droit à l’oubli »
Changement nº5 : Le numérique transforme les usagers en produits marchands
Propositions
[Aux organismes indépendants supranationaux]
- Inciter une organisation mondiale (ONU, Unicef ou encore OMS) à ouvrir ses bases de données pour en bien commun (données anonymisées)
[À l’Organisation des Nations Unies]
- Rendre les données anonymes
- Donner à chacun la maîtrise et la gestion de ses données, de leur consultation à leur suppression
[Aux entreprises]
- Autoriser les entreprises privées à accéder à ces données uniquement de manière massive et anonyme