Le nerf de la guerre de toute startup est sa rapidité de développement. Mais la crise actuelle, à la fois sanitaire et économique, pourrait conduire certaines entreprises innovantes à devoir adresser un nouveau marché, un nouveau segment de clientèle, voire de s’exporter dans un nouveau pays. Pour les aider dans cette phase hautement stratégique, voici quelques astuces livrées par le Product Master Yves Mahé, à l’occasion d’un atelier au Tarmac.
Vous avez lancé votre startup et avez développé un concept fortement innovant ? C’est un bon début. Vous avez le sentiment que votre innovation peut toucher beaucoup de marchés et différentes applications à la fois. Vous voulez tous les conquérir en parallèle ! Ou bien vous pensiez avoir trouvé le bon segment de marché pour votre startup, seulement voilà… la crise que nous sommes en train de vivre vient tout remettre en question !
Afin de préparer au mieux la sortie de crise, quel(s) serai(en)t le(s) premier(s) segment(s) de marché à attaquer ? (Re)posez-vous les bonnes questions et mettez à jour votre marketing mix !
1/ Pourquoi est-ce si important de segmenter ?
Il est en effet rarement possible, d’un point de vue économique, de s’adresser à l’ensemble des consommateurs d’un marché. Ni stratégiquement souhaitable d’ailleurs. Pourquoi est-il si important de segmenter ? Tout simplement parce que nous sommes tous différents, avec des besoins différents et des comportements d’achat différents. Alors comment vendre un produit à ces clients tous différents ?
Différentes approches sont possibles :
- L’approche « Trabant » : un même produit pour tous
Avantages : simplicité et facteur d’échelle. Inconvénients : on ne répond pas aux besoins des clients, donc… on ne vend pas !
- L’approche « Haute-couture » : un produit différent pour chaque client
Avantages : parfaitement adapté au client et rentable si on contrôle les coûts. Inconvénients : très couteux, marché limité aux plus riches.
La solution : la segmentation !
Les avantages de la segmentation
Un segment est, comme son nom l’indique, une partie de votre marché. La segmentation, au sens strict, consiste à prendre une population et à la découper de plus en plus finement au moyen d’une série de critères. Il s’agit en somme de regrouper les clients en groupe homogène (segment) qui partagent les mêmes besoins et les mêmes comportements d’achat.
Bien évidemment, la segmentation est une affaire de compromis ! Les clients d’un même segment n’ont pas exactement les mêmes besoins, ni les mêmes comportements d’achat. Mais suffisamment pour acheter quasiment le même produit.
Exemples de critères BtoC
- Critères géographiques (météo, géolocalisation…)
- Critères comportementaux (temps passé, nombre de visites…)
- Critères psychographiques (personnalité, intérêts…)
- Critères démographiques (profession, revenus, genre, âge…)
Exemples de critères BtoB
- Industrie (Immobilier, Energie, Secteur public… Ou plus précis : fournisseurs de pièces autos par ex.)
- Géographie (France, Europe, Pays baltes, etc.)
- Utilisation de certains processus (autorisation mise sur le marché)
- Taille d’entreprise (CAC40, ETI, PME),
- Croisement de critère (ex. : banque régionale française de moins de 500M€ de CA)
Connaître son écosystème
En abordant un segment de votre marché, vous pouvez le comprendre en profondeur et apporter une vraie valeur : bénéfices ? produits ? logiques d’achat ? Vous pourrez également plus facilement analyser la concurrence, les entreprises qui offrent des produits ou services comparables aux vôtres.
Et ainsi vous positionner sur un champ d’application particulier, ce qui vous rend unique pour conserver un avantage concurrentiel. Vous serez alors en mesure de fournir de la valeur, d’acquérir de profondes connaissances, et apporter une solution exclusive à vos clients.
2/ Segmentation et innovation
La segmentation marketing permet de focaliser ses efforts sur une cible précise et rentable. Pour une jeune entreprise innovante, qui dispose de ressources limitées, encore plus dans le contexte actuel, diviser le marché en différents segments de marché est crucial.
Deux exemples d’adoption de l’innovation
Un échec : Les Google Glass (V1)
Lancées en 2012, elles ont créé le buzz. Pourtant, après quelques ventes, elles ont été retirées du marché. Pourquoi ? Technologie très (trop) disruptive avec des bénéfices et une valeur peu clairs, un prix inadapté à la cible grand public. La bonne cible aurait été BtoB.
Un succès : Documentum
Après un important travail de segmentation, Documentum, positionné sur le marché de la gestion électronique de documents, s’est focalisé sur l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Résultat : est passé de 4 millions d’euros à 100 millions de dollars de CA en quelques années.
Trouver un segment sur lequel votre offre trouvera immédiatement une application concrète
Il est donc important d’identifier les besoins et attentes et sélectionner d’emblée un marché mûr, ou du moins, un marché sur lequel il y a déjà un besoin plus ou moins couvert. Allez là où on vous attend et trouvez le segment où votre offre bénéficiera d’une application concrète et immédiate !
N’oubliez pas que votre « time-to-market » doit être court pour inscrire votre projet dans une stratégie de succès. Pour une startup, le bon marché est celui sur lequel vous allez générer rapidement du chiffre et non celui qui vous ramènera le plus d’argent. Mieux vaut commencer par le marché qui génère du revenu immédiatement et penser ensuite aux autres marchés sur lesquels pivoter.
3/ Créer sa Segmentation : identifier les marchés pertinents en 6 étapes
Étape #1 : Lister tous les segments de marché possible (être le plus exhaustif possible, pas de censure ni de tri au préalable)
Étape #2 : Décrire chaque segment (Nom du segment, 1 ou 2 personas buyers, 2 bénéfices clés, liste de clients/prospects directement accessibles pour chaque segment).
Étape #3 : Évaluer la taille de marché pour chaque segment grâce à la méthode TAM SAM SOM (étape très importante pour un investisseur).
Étape #4 : Évaluer l’attractivité par segment (selon des critères notés de 1 à 5, tels que : Taille du segment, croissance, nombre de clients facilement accessibles, durée des cycles de vente, marge moyenne, intensité de la concurrence, sensibilité au prix, etc.).
Étape #5 : Déterminer les atouts par segments (selon des critères notés de 1 à 5, tels que : Connaissance du domaine, valeur ajoutée, différenciante, avantage compétitif, canal d’accès au marché, effort pour adapter le produit au segment, etc.).
Étape #6 : Une fois que ce travail est réalisé, on peut alors construire une « Directional Policy Matrix », ou encore Matrice Atouts / Attraits des segments.
4/ Sélectionner son (ses) premiers segment(s) : identifier les segments porteurs
À ce stade, on élimine les segments les moins porteurs. On en retient 3 grand maximum !
Plusieurs critères peuvent aider à les identifier :
- Criticité du point de douleur (pain point) exprimé des cibles pour mon innovation / Clarté de la valeur ajoutée
- Forte ou faible différenciation par rapport à la concurrence
- Taille du marché / croissance potentielle
- Intensité de la concurrence
- Facilité d’accès au marché par rapport à ma technologie
- Coût de modification de mon offre initiale pour satisfaire ce marché
- Rentabilité court terme
- Rapidité de conversion des premiers clients
- Objectifs et capacités de l’entreprise à se positionner durablement sur ce segment
5/ Aller sur le terrain et expérimenter pour valider les segments
Connaître son marché ne s’apprend pas dans les livres… Confrontez-vous à la réalité du terrain ! Même dans cette période de confinement, il est possible, voire indispensable, d’être au plus près de ses futurs clients et utilisateurs. Se confronter à la réalité du terrain et s’adapter, n’est-ce-pas le propre de l’innovation ?
Quelques exemples de scenarii d’expérimentation :
- Demander au marché lui-même quels sont les usages possibles : y a-t-il un besoin ?
- Est-ce un véritable enjeu pour lequel ils sont prêts à investir du temps et des moyens (humains, financiers) ?
- Ma solution répond-elle à ce besoin ? Quelles améliorations faudrait-il pour qu’elle y réponde mieux ?
- Qui sont mes concurrents ou quels sont les substituts d’usage par rapport à ma solution ?
- Quelles sont les faiblesses / Points forts de mon innovation ?
- Définir des propositions de valeur dédiées à chaque usage et les affiner en fonction des retours terrain
- Qui sont mes partenaires de développement / clients / acteurs du domaine ?
Et n’oubliez pas : commencer par adresser un segment n’est que le début de l’aventure… Il faut d’ores et déjà créer une roadmap stratégique des autres segments à attaquer ! Il vous reste également à construire votre argumentaire de vente.
À propos d’Yves Mahé
Développeur, puis Architecte, Yves a passé plusieurs années en Californie, où il a été formé par Marty Cagan, ex VP Product eBay, Netscape. De retour en France, il gère le transfert techno pour Xerox research. Puis il créé une Spin-off de Xerox, askOnce (CA X10 en 3 ans), rachetée par Documentum (CA X10 en 4 ans). Il rejoint alors BonitaSoft (CA X2 par an), avant d’être Directeur Produit et Consultant Produit pour diverses sociétés : startup, ETI et grands groupes (Produits jusqu’à 100M€ de CA). Il utilise les méthodologies Lean Startup, Design Thinking et Agilité.
LinkedIn : Yves Mahé